Peut-on parier sur tout ? Sans doute. Et sur la mort de quelqu’un, ou de soi-même ? Certains l’ont fait…
Fans d’humour noir ? Ce concept est fait pour vous ! Apparu en France en 2008, d’après un concept importé des Etats-Unis, il a fait couler beaucoup d’encre et continue encore aujourd’hui d’alimenter les controverses, posant la question des limites à poser aux paris.
Peut-on parier sur tout ?
Parier sur la mort : c’est risqué…
Trois développeurs farceurs ont voulu s’amuser – et créer le buzz – en lançant un site au concept délirant : ilsvontbientotmourir.com. Ce site avait pour vocation de faire parier les internautes sur la date de décès d’une célébrité, en déterminant les causes du décès : alcool, dépression, suicide etc… Un vaste programme en somme. Malgré des gains assez limités : en cas de pari gagnant on pouvait remporter un T-shirt à effigie de la star décédée accompagné d’un subtil “je l’avais prédit !” – plus kitch tu meurs ! Le concept a plutôt bien marché et a su trouver ses adeptes.
Aujourd’hui, le nom de domaine a été racheté et le site est devenu une vitrine publicitaire. Mais la vraie question qui se pose est bien sûr : peut-on parier sur tout ? A la rédaction, nous ne manquons pas d’humour, toutefois le débat a été assez intense : quid de l’éthique ? Quelles limites pour l’humour noir ?
Erreur de la banque en votre faveur
Pour la Deutsche Bank, parier sur la mort est un placement qui rapporte. En effet cette banque de renommée mondiale a cru bon de créer un fonds d’investissement dont le principe est le suivant : sélectionnez un panel de volontaires âgés de 72 à 85 et faites évaluer leur espérance de vie par des experts.
- Si les volontaires survivent un an de plus que la date – présumée – de leur mort, ils touchent un rendement annuel de 6%
- S’ils survivent 3 ans de plus, ils perdent la moitié de leur mise
Ce pari sur la durée de vie, qui fait plus que frôler l’immoralité, a provoqué un tollé en Allemagne. La banque a donc fait marche arrière en indiquant qu’elle rembourserait les investisseurs qui souhaitent se retirer du fonds.
Mais parfois ça rapporte gros !
Certains sont capables de tout, comme cet anglais, Jon Matthews, qui a voulu parier sur son espérance de vie. Très joueur, ce patient atteint d’un cancer en phase terminale, a parié réussir à dépasser la date limite d’espérance de vie définie par ses médecins. Il a par la suite confié à des journalistes que ce pari lui a donné un objectif et la motivation de se battre pour l’atteindre. Ce pari risqué lui a tout de même permis de remporter 5000£, soit un peu moins de 6000€ ! Il fallait oser. En Angleterre, il est nécessaire de le noter, il est autorisé de parier sur à peu près tout, contrairement en France.
Ceux qui ont parié sur la mort dans l’histoire
“Ave Caesar, morituri te salutant”
Le saviez-vous ? Les gladiateurs, en 52 avant J-C avaient déjà des bookmakers. En effet, superstars de leur époque, les gladiateurs voyaient leur mort pronostiquée par un public plus que motivé. Les champions avaient la faveur du public, tandis que ceux qui n’avaient pas encore fait leur preuve se voyaient boudés. A cette époque, PMU aurait-il proposé un pari combiné sur la mort de Maximus et des fauves ?
Témoins ou parieurs ?
Au XVIIIème et au XIXème il s’agissait avant tout, et ce depuis la fin des gladiateurs en 400 après J-C, de duels destinés à laver l’honneur bafoué. Pour contrôler la bonne tenue des duels et le respect des règles, des témoins faisaient office d’arbitres. En quelque sorte, c’était des paris mutuels non organisés : entre gens de bonne compagnie – ou témoins de duel – on pariait sur la mort d’un des deux fous.
Dernière danse
Après que les duels tombent en désuétude, les paris sur la mort disparaissent. Et, contrairement à ce qu’on peut communément penser, le dernier duel connu en France n’est pas éloigné de nous : il date de 1967 ! René Ribière, député, se fait insulter d’abruti par Gaston Defferre lors d’une session particulièrement houleuse de l’hémicycle. Defferre refusant de s’excuser, Ribière le provoque en duel. Grand mal lui en a pris : en plus d’avoir été insulté, il perd son duel. Humiliation quand tu nous tiens… On espère que ceux qui avaient cru en lui n’ont pas parié trop gros.
Pour l’anecdote : depuis 1999 l’Italie ne prévoit de sanction lors des duels que lorsqu’il y a lésion. Sans doute peut on le comprendre comme une dépénalisation.
La mort, un enjeu de taille
Instincts de mort
Pour Freud, la pulsion de mort est inhérente au genre humain. Il n’est d’humain qui ne soit attiré par la mort. Ce thanatos, que l’on peut aussi comprendre comme pulsion de la mort du plaisir, de la frustration donc, est l’exact opposé de l’éros, la pulsion de la vie du plaisir. L’homme est mû à la fois par le thanatos et l’éros. Et c’est bien cet effet que nous observons lorsque sur l’autoroute il y a des bouchons des deux côtés de la voie : ceux qui sont de facto bloqués par l’accident et ceux de l’autre côté qui l’observent. C’est une fascination par et pour le mal : on veut voir quand bien même ça nous horrifie. On veut éprouver un peu, ce que l’on espère n’éprouver jamais.
Or l’homme, cet animal politique et sociologique, est bien le seul à avoir conscience de sa finitude. C’est cette angoissante vérité même qu’il tente de dépasser et de sublimer en regardant la mort chez les autres. Cette pulsion explique la volonté de parier sur la mort : essayer de contrôler l’incontrôlable.
Rapport aux morts
Entre fascination et rejet, le public est sans cesse en quête de connaissance, de savoir sur les célébrités : avec qui il est ? Quelle robe a-t-elle portée ? Combien d’enfants ont-ils ? Et les célébrités de s’en donner à cœur joie, de décrire leur vie dans les moindres détails.
Quitte à tout savoir, de là à parier sur leur mort, il n’y a qu’un pas. Le rapport du public aux célébrités est en effet particulièrement ambigu. Sorte de lassitude et de trop-plein de cet état de fait, ces paris sont l’expression du rejet de la part de certains de toute cette fausseté, de cette représentation de vie. Parier sur la mort de quelqu’un, c’est manifester une volonté de changement, de mutation : nous ne sommes pas obligés d’être enfermés dans cette société de représentation. En quelque sorte, ces paris permettent de faire sortir la pensée de cette manière d’être. Nous assistons à une réappropriation de la vie : les gens ne veulent plus être dépossédés de leur vie, ils cherchent à en reprendre le contrôle.
Les enjeux éthiques
Ne nous leurrons pas : les morts prennent de la place. Aussi bien dans les cimetières que dans les serveurs. Que penser alors de Google qui propose de créer un testament numérique ? Au même titre que nos biens matériels, Google nous propose désormais de disposer de notre héritage numérique. Que penser également de tous nos amis Facebook décédés mais toujours présents dans nos contacts ? Les pages transformées en pages commémoratives sont-elles réellement une solution ?
Parier sur sa mort c’est un peu parvenir à sublimer notre angoisse. Prendre possession de cette réalité, la posséder, pour quelque part la maîtriser. Finalement, parier sur la mort ne serait-ce pas vouloir la dépasser ? Rechercher une puissance sans fin ? N’est-ce pas une expression du complexe de Dieu ?
Quoi qu’il en soit, en attendant l’apparition de nouveaux sites semblables, contentons-nous des sites de paris plus classiques. Allez, n’hésitez plus, c’est mortel !