Chronique d’un turfiste aguerri ayant débuté dans l’ignorance et la honte !
Quand je me suis installé au vert, j’ai tout de suite cherché à m’intégrer parmi les gens du coin. Le bar PMU était évidemment le point de rassemblement incontournable.
J’avais assez peur d’avoir l’air d’un idiot : en plus de ne connaître personne, je n’avais jamais joué aux courses. Mais un matin, je me suis lancé : j’ai poussé les portes et demandé le journal et une bière à une serveuse plutôt jolie.
Tout de suite, j’ai repéré les quelques habitués discutant ferme entre eux autour d’un journal de turf. J’ai pris mon courage et je suis allé me présenter, histoire de faire connaissance. Et voici ce qu’il m’est arrivé.
La première mise
“Ha mon gars, tu tombes bien ! A ton avis, c’est Star System ou Cesaro qui va remporter le Quinté ?” Je commence à balbutier que je ne sais pas qui sont ces gens : grosse rigolade des 4 compères ! “Mais c’est des chevaux, enfin”, me lance l’un. Je me sens ridicule, mais j’essaye de me rattraper : “Oui, évidemment ! A mon avis, il faut miser sur Cesaro !”
Et là, tout bascule : “Ben alors, qu’est-ce que tu attends pour remplir ta grille ?” Je me sens totalement perdu. Je ne sais même pas comment demander une grille pour parier sur le Quinté à la serveuse et je n’ai surtout pas envie qu’elle me prenne pour un gros benêt. Je scrute des yeux la borne PMU et le coin des grilles de Loto : ce doit être par-là, je m’y dirige. Je tombe sur un bout de papier où il est écrit Quinté + : je me sens rassuré, même si je n’ai aucune idée de comment le remplir.
Je reviens vers les gars et demande à l’un d’eux s’il n’aurait pas un stylo. Il pouffe de rire : “Tu vas remplir une grille Spot !? Je croyais que tu t’y connaissais !” Je ne sais pas quoi faire, je sens que j’ai du me tromper de grille. Mais je ne me dégonfle pas : je commence à cocher en faisant semblant de ne pas hésiter.
“Ha quand même, tu mises 100€ ! C’est bien ça, vu les cotes ! Allez, valide, le départ est dans 8 minutes !” Je réalise que j’ai fait n’importe quoi : jamais je n’ai voulu parier 100€, surtout pour un premier pari ! Et qu’est-ce que c’est, la cote au turf ? Mais ils me regardent tous : je n’ai plus qu’à m’exécuter. Je tends la grille à la serveuse qui me souhaite bonne chance avec un sourire en coin.
Tout le monde a les yeux rivés sur l’écran. J’aimerais au moins voir sur quels chevaux j’ai misé, finalement ! Mais j’ai du mal à lire la grille, et puis à ma droite, celui qu’ils appellent “Joe le Tiercé” n’arrête pas de me bousculer et de scruter ma grille du coin de l’oeil.
La course commence : après un silence quasi-religieux la première minute, les esprits s’échauffent ! “Allez, vas-y ! Vas-y ! Cravache ton bourrin ! Allez !” Je n’arrive même pas à discerner les numéros des chevaux, mais ce n’est apparemment pas leur cas ! La course a l’air d’arriver à son terme et Joe le Tiercé s’excite : il est sur le point de remporter son pari.
“Alors, t’as quoi avec ton Spot ?” Je parviens péniblement à comparer le résultat de la course avec ma grille : rien du tout ! “Pourtant, c’est bien Cesaro qui est en tête, pourquoi t’as pas parié sur lui ??”
Se refaire ou tout perdre
Je ne sais pas quoi dire, et j’ai du mal à réaliser que j’ai perdu 100€. “La prochaine à Vincennes dans 15 minutes !” me lance le plus vieux des 4, “Tu vas pouvoir te refaire !”
J’hésite beaucoup, mais ils m’encouragent et mon regard croise celui de la serveuse : les jeux sont faits ! Cette fois, je trouve la bonne grille. Je demande si je peux jeter un oeil au journal. “Hé, bien sûr mon gars, vas-y ! En plus t’as l’air de connaître ! J’attends ton pronostic !” Je cherche “Vincennes” dans la liste des courses du jour, et je me rends compte que ça ne m’avance pas à grand chose : je n’ai de toute façon aucune idée du cheval sur qui parier.
“Alors, tu en dis quoi ?” Je suis bien obligé de m’exécuter, et lance au hasard : “Rose d’Amour, Perfect Queen et Bigger Picture”. “Alors toi mon gars, t’en as !” braille Joe. Je ne vois pas ce qu’il veut dire, et j’essaye de me concentrer pour bien remplir la grille. Je vais pour faire valider : “250€ s’il vous plait” me demande la serveuse ! Bigre ! C’est un cauchemar ! Mais son sourire et le regard des autres… Je paie.
Le vieux fait une remarque peu rassurante : “Si tu gagnes, je me mets à genoux devant toi, t’entends ? Si tu gagnes, t’es le dieu du turf ! Parce que miser autant sur des canassons pareils, chapeau !”
La course commence, et ça raille sec : “T’as vu ta Rose d’Amour ? Elle n’est même pas partie !” me fait l’un. “Et ta Perfect Queen elle est à la traîne !” hurle Joe avant de pouffer de rire. “T’aurais mieux fait de faire un Spot comme tout à l’heure” commente un autre. La serveuse aussi a l’air de se moquer dans son coin. Et le plus âgé qui me fixe en secouant la tête d’un regard désespéré… J’ai honte…
Evidemment, je n’ai rien gagné. 350€ de perdus en moins d’une heure, 1/3 de mon salaire ! Ça fait cher la rencontre des gens du village ! “Allez, jamais 2 sans 3” me dit Joe ! “T’es pâle, hein ? Mas t’inquiète pas, tu vas gagner la prochaine ! Dans 30 minutes à Longchamp, hein ? T’as qu’à faire un Spot si t’es pas sûr de ton coup !” Sourire de la serveuse : je me lance. J’entends derrière moi “Mise pas trop cette fois !” Il faut vraiment que je me concentre sur la bonne façon de remplir la grille…
“Alors, fais voir ?” Je montre la grille à Joe. “T’as la poisse toi : si l’outsider finit premier, je deviens pape !” Eclat de rire général. J’ai envie de partir en courant. Mais sait-on jamais : je me force à attendre la fin de la course. Ils se tournent tous vers l’écran. Puis nouvel éclat de rire général : “Avec ce que t’as perdu, tu vas pouvoir aller vivre dans la paille avec Liberty !” “Avec qui ?” Ils rient de plus belle, ils n’en peuvent plus !
Je m’en vais tout penaud. Et j’imagine le pire, l’explication avec ma femme : “Chérie, j’ai joué ma paye au turf et j’ai perdu !”