La question de la moralité des jeux d’argent se pose tôt ou tard à ceux qui s’y adonnent régulièrement. Certains, comme le poker, conservent une réputation sulfureuse. Se sentir coupable serait pour autant la solution de facilité qui ne pourrait que nuire à votre équilibre personnel et accessoirement à votre bankroll. Voici quelques éléments de réflexion qui vous permettront peut-être de voir où vous en êtes et de répondre aux insinuations malveillantes.
Pourquoi ces regards désapprobateurs ?
Quel joueur de poker régulier n’a pas lu à un moment ou un autre la désapprobation dans le regard d’un inconnu devant qui il parlait de sa passion, ou d’un ou plusieurs de ses proches lors d’un repas en famille ? La société juge négativement ce qui serait une source de revenus facile, et d’autant plus en période de crise où l’on estime qu’il n’y a pas de raisons pour qu’à côté du dur labeur mal rétribué, les cartes et les dés fassent couler les billets à flots.
L’image de mafieux jouant dans une cave sombre et glauque, qui n’est aujourd’hui vraie que dans les films, colle encore à la peau du poker. Mis à part le mépris porté à l’égard de ses supposés pratiquants, l’on invoque le très rationnel motif selon lequel une telle source de revenus instable est inacceptable pour faire vivre une famille, à supposer seulement qu’elle ne détourne pas de celle-ci. Et quand cela ne suffit pas, l’on crie à l’addiction et la chute.
Il ne saurait évidemment s’agir de nier en bloc les risques liés aux jeux d’argent. Pour autant, il est possible de répondre en règle aux critiques classiques :
- argent facile : si tel était le cas, il n’y aurait pas une majorité de fishs au poker et commencer à être gagnant ne serait pas si laborieux. De même, il demeure très difficile de devenir un pronostiqueur suffisamment aguerri au turf ou aux paris sportifs pour en tirer des sommes substantielles.
- côté glauque : en France, le poker en ligne ou en live est régulé de manière stricte. Et un cercle de jeux ou un casino n’a rien d’un lieu glauque. Mais ceux qui l’affirment ne projettent-ils pas cette image par jalousie face aux gains qu’ils s’imaginent que certains en retirent ?
- instabilité : la décision de ne vivre que des revenus du poker doit être mûrement réfléchie. Quand c’est le cas, tout est une question de gestion de bankroll, de façon à avoir toujours une marge de quelques mois d’avance “au cas où”. En outre, on qualifie presque toujours d’instable ou de bizarre un choix de vie hors du commun, qu’il s’agisse de poker ou d’autre chose…
- négligence, isolement : cet aspect ne concerne que le faible pourcentage de ceux pour qui le jeu est devenu problématique. Une pratique sérieuse du poker nécessite au contraire de l’organisation et une certaine hygiène de vie où les compromis liés à une vie familiale sont possibles. Par ailleurs, dire que la pratique du jeu conduit à l’isolement reste souvent une confusion de l’effet et de la cause : c’est d’abord un certain isolement qui conduit à jouer plus, effet qui cause à son tour un plus grand isolement.
Enfin, l’acte de parier commun à tous ces jeux d’argent n’est-il semblable à bien des actes de la vie ? Il pourrait contenir la même part d’incertitude qui fait d’un changement d’emploi un pari risqué, de même qu’un mariage ou que tout autre engagement important dont l’issue n’est pas certaine… En ce sens, il s’agirait d’une simple manière ludique de vivre l’acte même de prendre des décisions. Ceux qui y excellent sont d’ailleurs appréciés des recruteurs à la recherche de candidats pour des postes impliquant responsabilités et prises de décisions.
Le point de vue religieux
Ce que dit la Bible
Il est très difficile de trouver une condamnation explicite des jeux dans les Ecritures. Au mieux, elles prescrivent de ne pas convoiter l’argent et surtout l’enrichissement rapide (dans les Proverbes par exemple) ; difficile de ne pas l’interpréter comme une mise en garde contre eux, et spécialement le Loto qui promet des cagnottes fabuleuses rien qu’en cochant quelques numéros.
Pour les jeux de grattage, les paris sportifs, et le turf, la chose est moins évidente, car les sommes engagées et les gains perçus sont, sauf exception, plutôt modestes. Quant au poker, il peut certes s’avérer très lucratif, mais l’on ne saurait dire sérieusement, sauf à méconnaître totalement sa pratique, qu’il permet un enrichissement rapide :
- au mois 90% des joueurs ont une bankroll négative sur le long terme
- devenir positif demande souvent des mois de travail sur son jeu : croire qu’il s’agit d’un moyen de gagner de l’argent facile relève du fantasme
Pour autant, le jeu modéré ou occasionnel ne saurait être franchement un péché (sauf si l’on adopte une position extrême considérant qu’il n’y a pas de “petit” péché). Gratter un Banco en même temps qu’on boit une bière au bar, par exemple, n’est pas en soi un mal, même si l’on peut considérer qu’il s’agit d’un gaspillage. Bien sûr, l’on pourrait toujours arguer qu’il aurait été plus utile d’économiser cette somme, ou de la donner aux pauvres, ou de l’employer pour les oeuvres du Seigneur. Mais ne serait-ce pas là une condamnation excessive, de la surérogation (le fait de se conformer excessivement au devoir, de rendre la vertu tellement vertueuse qu’elle finit par en devenir un vice), bref simple bigoterie ?
De plus, certains condamnent l’animosité qu’il peut créer, ou encore le bluff qui, avouons-le, a bien quelque chose de diabolique (on trompe délibérément son prochain pour lui faire perdre son argent). Mais n’en va-t-il pas de même dans d’autres jeux ou dans le sport ?
En revanche, il existe une critique d’inspiration chrétienne plus difficile et philosophique concernant le jeu lorsque celui-ci est assimilé au divertissement. Celle-ci a été spécialement formulée par Pascal, puis reprise par Heidegger. L’idée consiste à souligner qu’il détourne de la “vraie” vie, que ce soit celle selon Dieu ou celle authentiquement vécue, et dans les 2 cas il ne s’agirait que d’une échappatoire illusoire face au mystère de notre propre existence. A vous de voir si vous fuyez quelque chose à travers lui et si vous n’auriez pas mieux à faire…
Le poker : haram ou halal ?
Considéré comme un pur jeu de hasard avec gain d’argent à la clef, le poker est totalement proscrit par l’islam, au même titre que les jeux de la FDJ®, le turf ou encore les paris sportifs.
Les versets 90-91 de la 5ème Sourate du Coran sont couramment rappelés à ce sujet : “Le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées, les flèches de divination ne sont qu’une abomination, une œuvre du Diable. Ecartez-vous en, afin que vous réussissiez. Le Diable ne veut que jeter parmi vous, à travers le vin et le jeu de hasard, l’inimitié et la haine, et vous détourner d’invoquer Allah. Allez-vous donc y mettre fin ?”
La question est toutefois plus épineuse qu’il n’y paraît :
- le poker n’est peut-être pas qu’un jeu de hasard, comme nous le défendons à travers une série d’articles visant à réduire le facteur chance au profit de la stratégie
- on peut le pratiquer sans mise d’argent réel, même si cela dénature quelque peu l’esprit du jeu. Mais n’y gagne-t-on pas un aspect ludique innocent ?
L’interdit religieux reste évidemment le plus fort et avouons que la problématique ne saurait être résolue hors du cadre de la foi…